Anne Sylvestre
TIENS-TOI DROIT


Tiens-toi droit!
Si tu t'arrondis, tu auras l'air d'une arche.
Tiens-toi droit!
Si tu t'arrondis, tu auras l'air de quoi?

Tu auras l'air d'un pont même pas de pierre,
L'air d'un pont de bois, l'air d'un pont d'acier.
Tu auras l'air d'un tronc par dessus la rivière,
Tu auras l'air d'un rien sur quoi je peux marcher,
L'air d'un trait d'union, l'air d'une passerelle,
L'air de ce par quoi je peux aller plus loin,
L'air d'un fond sonore, l'air d'une ritournelle,
L'air d'une musique dont je n'ai pas besoin.

Tu auras l'air d'un peu, l'air d'un plus grande chose,
L'air d'un intermède, d'une récréation,
L'air d'un amant pour bibliothèque rose,
D'un soupirant pour représentation,
L'air d'un grand chemin comme tous les autres,
Prêtant à mes pas son sol aplani,
L'air d'un macadam, l'air d'un qui se vautre,
Content, bien content de ses avanies.

Mais moi je ne veux pas que tu t'arrondisses.
Je veux contre toi toujours me heurter.
Laisse, laisse-moi tous les précipices
Que sous mes pas l'amour va susciter.
Je ne veux pas de pont, je veux des rivières,
Je veux des torrents où tourbillonner.
Je veux cette vie, je la veux entière,
Même si mon coeur y doit suffoquer.

Mais tiens-toi droit!
Ne t'arrondis pas, il faut que je marche.
Tiens-toi droit!
Si tu t'arrondis, j'aurai l'air de quoi?


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