Anne Sylvestre
MÈRE, VEUX-TU?


- Mère, veux-tu?
- Oui, ma fille,
Combien de pas veux-tu passer?
- Mère, veux-tu,
Sois gentille,
Je voudrais tant m'en aller danser.

Pour le bal je suis tranquille:
Tu voudrais des pas de géant.
Mais ton coeur est si fragile,
Je ne t'en donnerai pas autant.
Pour aller danser la gigue,
Tu n'auras que des pas de fourmis,
Et si sauter te fatigue,
Deux pas de statue aussi.

Mais quand tu verras Jean-Jacques,
Tu voudras des pas de velours
Ou des pas de cloches de Pâques
Qui font Rome aller-retour.
Tu voudras des pas de lierre
Pour t'accrocher à son cou.
Lui n'aura que des pas de pierre,
Ça ne t'avancera pas beaucoup.

Tu voudras des pas de chatte
Pour l'aimer en tapinois.
Lui n'aura que ses grandes pattes
Juste bonnes à gauler les noix.
Pour gauler ton coeur, ma douce,
Lui faudrait des pas d'oiseau
Ou des pas de bêtes rousses
Embusquées dans les roseaux.

Qui lui a donné misère,
Tous ces pas de grand chamois,
Tu n'écoutes plus ta mère:
Tous tes pas sentent l'émoi.
Il te va falloir, ma fille,
Marcher à pas de folie,
À grands pas de jour qui brille
À grands pas de longue nuit.

Mère, veux-tu?
- Oui ma fille,
Combien de pas veux-tu passer?
Mère, veux-tu?
Oui, ma fille,
Combien de pas t'en vas-tu passer?


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