Anne Sylvestre
BENOÎTE


On m'appelle Benoîte
Et je le suis, c'est vrai,
Quand je croise les pattes
Sur mon air satisfait.
On m'appelle Benoîte,
On me dit l'air benêt.

Elles me disent: "Voyons, Benoîte, tes fenêtres
Sont peintes de marron quand les nôtres sont vertes."
Elles ne voient pas les fleurs qui poussent au jardin,
Colorant mes matins d'un vert plus vert que tous les leurs.

Si mon homme ne va pas boire avec leurs hommes
Et s'il presse le pas apercevant leurs pommes,
C'est qu'il n'a pas besoin de leurs bêtes propos
Et qu'il boirait de l'eau s'il la recevait de ma main.

Si mes petits ne vont pas courir la nature,
C'est qu'avec moi ils ont leur plus belle aventure
Et tous les jalouseux disent que je les couve
Mais je deviendrais louve si on levait un doigt sur eux.

Elles brodent des fleurs dessus leurs jupes vives.
Moi, j'en ai dans le coeur craignant pas la lessive
Et je leur dirai pas que des fois je me fais belle,
Mais ce n'est pas comme elles, ce n'est que pour rester chez moi.

Elles ne savent pas que Benoîte,
Avec son air simplet,
Conserve entre ses pattes
Le plus beau des secrets.
Elles ne savent pas que Benoîte
A mis le bonheur au frais.


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