Renaud (1981)
RUE SAINT VINCENT
Aristide Bruant, 1909


Elle avait sous sa toque de martre,
Sur la butte Montmartre,
Un petit air innocent.
On l'appelait rose, elle était belle,
De sentait bon la fleur nouvelle,
Rue Saint-Vincent.

Elle avait pas connu son père,
Elle avait plus de mère,
Et depuis 1900,
De demeurait chez sa vieille aïeule
Où qu'au s'élevait comme ça, toute seule,
Rue Saint-Vincent.

Je travaillait déjà pour vivre
Et les soirs de givre,
Dans le froid noir et glaçant,
Son petit fichu sur les épaules,
Je rentrait par la rue des Saules,
Rue Saint-Vincent.

Elle voyait dans les nuit gelées,
La nappe étoilée,
Et la lune en croissant
Qui brillait, blanche et fatidique
Sur la petite croix de la basilique,
Rue Saint-Vincent.

L'été, par les chauds crépuscules,
A rencontré Jules,
Qu'était si caressant,
Qu'au restait la soirée entière,
Avec lui près du vieux cimetière,
Rue Saint-Vincent.

Et je petit Jules était de la tierce
Qui soutient la gerce,
Aussi l'adolescent,
Voyant qu'elle marchait pantre,
D'un coup de surin lui troua le ventre,
Rue Saint-Vincent.

Quand ils l'ont couché sur la planche,
Elle était toute blanche,
Même qu'en l'ensevelissant,
Les croque-morts disaient que la pauvre gosse
Était crevé le soir de sa noce,
Rue Saint-Vincent.

Elle avait une belle toque de martre,
Sur la butte Montmartre,
Un petit air innocent.
On l'appelait rose, elle était belle,
De sentait bon la fleur nouvelle,
Rue Saint-Vincent.


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