Gaston Ouvrard
LES FEMMES AU RÉGIMENT


Aujourd'hui les femmes sont docteur ou avocate
Font de la peinture ou tirent la voiture à bras
Les plus durs métiers, les fonctions les plus délicates
Ne leur font pas peur ; pourquoi sont-elles pas soldat?

Dans l'armée, dans l'armée
Dans l'armée française
À chacune on trouverait
Ce qui lui conviendrait
Les soldats, certainement
En seraient bien aises
La bonne et la cuisinière
Éplucheraient les pommes de terre
Et les gentilles demoiselles
Celles qui font de l'aquarelle
Au lieu d'un petit pinceau
Elles pourraient tremper dans l'eau
Un balai beaucoup plus gros
Et les chanteuses notoires
Demoiselles du conservatoire
Tous les soirs viendraient chanter
Pour endormir les troupiers
Ce serait vraiment épatant
Tout le monde serait content
Et on rengagerait dans
L'armée française

Dans la cavalerie, le train ou bien l'infanterie
Les femmes seraient vraiment heureuses, en vérité
Car les bons troupiers, connaissant la galanterie
Pour elles seraient toujours pleins d'amabilité

Dans l'armée, dans l'armée,
Dans l'armée française
Elles trouveraient au complet
Tout ce qui leur plaît
Mais en mieux, beaucoup mieux
Entre parenthèses
Au lieu de petites bottines
Bien trop minces, bien trop fines
En peau de daim ou d'agneau
On leur collerait pour la peau
Une belle paire de godillots
Bien solides, bien costauds
Avec des clous bien gros
Au lieu d'un petit réticule
Filet un peu ridicule
Elles auraient, c'est rigolo
Un grand sac à se mettre dans le dos
On leur donnerait pas des fleurs
Mais des parfums, des odeurs
Ah, ma chère! Elles en auraient
La la, tant qu'elles en voudraient
Et pour se poudrer le museau
Par quatorze au dessous de zéro
Elles trouveraient comme les poteaux
Des bouts de glace au lavabo
Elles auraient même des coiffeuses
Qui, d'une main vigoureuse
Te les passeraient à la tondeuse
En hiver, quand elles auraient
Trop froid, on les réchaufferait
En été, si elles avaient
Trop chaud, on les refroidirait
À la douche on les mènerait
C'est à qui les bichonnerait
Les masserait, les frictionnerait
Elles diraient "Au régiment
On est bien traitées, vraiment
Nous allons rengager dans
L'armée française"

Les gradés auraient pour elles mille prévenances
Quand il s'agirait d'exécuter un mouvement
D'une voix câline, en leur faisant des révérences
Ils commanderaient en souriant aimablement

Et l'armée, et l'armée
Et l'armée française
Dégoûterait son maintien
Faubourg Saint-Germain
L'adjudant leur dirait
"Ne vous en déplaise
Voulez-vous, ma petite chérie
Faire demi-tour, je vous prie?
C'est très bien! Je vous remercie"
Au déjeuner de la section
On verrait le capiston
"Comment trouvez-vous le bouillon?
Vraiment? Il est un peu froid?
Pour vous rattraper, ma foi
Venez dîner ce soir avec moi"
Et à la marche militaire
Vingt-cinq kilomètres à faire
Quand Marie-Jeannette ou Claire
Diraient "Moi, je peux pas les faire!
Je vais poser mon sac par terre
J'ai mes pieds qui me font mal!"
On verrait le général
Qui descendrait de son cheval
Et qui lui dirait comme ça
"Vous êtes fatiguée, mon rat?
Pauvre petit chou, ça va pas?
Je vous en prie, donnez-moi le bras"
Et si quelque maladroite
Se faisait mettre à la boîte
Comme la planche est bien étroite
On se serrerait un peu
Elle serait beaucoup mieux
On aurait bien du plaisir
À la regarder dormir
Les civils seraient jaloux
Ils voudraient venir avec nous
Et au bout de quelques temps
Dans les villes ou dans les champs
Y aurait plus personne, sûrement
Tous les civils seraient dans
L'armée française


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