Claude Nougaro
L'ASPIRATEUR


Je serai ton inspiratrice
Disait-elle au compositeur
Ils se marièrent à Saint Sulpice
Sous le regard du Créateur
Dans un trois pièces ils installèrent
Le piano à queue, leurs deux coeurs
Les doigts inspirés attaquèrent
Quand retentit l'aspirateur
Quand retentit l'aspirateur
L'aspirateur, l'aspirateur

L'artiste crispa ses paupières
Sur la perfection de l'accord
L'aspirateur et la poussière
Se combattaient au corps à corps
Arrête un peu, je t'en prie, Claire
(Ainsi se nommait l'âme soeur)
Qui répondit, je me vois les pierres
Il faut changer l'aspirateur
Il faut changer l'aspirateur
- L'aspirateur?
- L'aspirateur

Ce sont de vrais nids à poussière
Que ces appartements vieillots
Je veux que ta maison soit claire
Et brille autant que ton brio
Le lendemain l'inspiratrice
Et son nouvel inhalateur
Laboure, pompe, suce, ratisse,
Bat les tapis à coups de moteur
Bat les tapis à coups de moteur
D'aspirateur, d'aspirateur

Arrête Claire, aïe aïe aïe aïe!
Prends un plumeau, prends un balai
Comment veux-tu que je travaille?
Béjart me commande un ballet...
Je n'en peux plus de ce vacarme
J'aspire au calme inspirateur
Claire est en pleurs
Claire est en larmes
Dans le placard
L'aspirateur
Dans le placard
L'aspirateur
L'aspirateur
L'aspirateur

Délicieux, le silence neige
Le musicien sur le clavier
Fait ruisseler de doux arpèges
En attendant son parolier
Tiens, le voici la mine fière
Son dernier titre sur le coeur
Poussière, tout n'est que poussière,
J'entends un blues avec des choeurs
Pourquoi pas des aspirateurs?
Aspirateurs, aspirateurs

Ulcéré repart le poète
Avec son oeuvre sur le foie
Permet un peu que j'époussette
Demande Claire, rien qu'une fois
Regarde, amour, c'est plein de cendres,
Je n'ai besoin que d'un quart d'heure
C'est entendu je vais descendre

A peine est-il dans l'ascenseur
Que vrombit le tuyau têteur
L'aspirateur, l'aspirateur,
L'aspirateur, l'aspirateur,
L'engin rugit, l'humeur gloutonne,
Broute les murs après le sol,
Sur le clavier il s'époumone
Par ci par là il gobe un sol
Enfin se tait sa grosse bouche
Revient l'artiste, scrutateur,
Mon piano, Claire, où sont les touches?
Mon ré? Fauré!
Mon do? Malheur!
Dans les tripes de l'aspirateur
L'aspirateur, l'aspira...

D'un infarctus, Alfred s'écroule,
Ainsi se nommait ce génie,
Grands Dieux, sous ses pieds se déroulent,
La moquette du paradis
Un séraphin, ou séraphine,
À en juger par ses rondeurs
Le conduit par des voies divines
Tout n'est qu'éclat, fraîcheur, splendeur
Ah! Nul besoin d'aspirateur!
Ah! Nul besoin d'aspirateur!

Devant un grand queue, on l'installe
Cristal de joie, pur diapason
L'air étincelle de pétales,
Partout prairies et frondaisons
Mais que voit-il là-bas? C'est Claire
Qui le rejoint en quelques bonds
Sans toi si lourde était la terre
Je n'ai pu te survivre, non
Et maintenant que vas-tu faire?
Demande Alfred d'un certain ton
Claire regarda l'horizon
Où est la tondeuse à gazon?
Où est la tondeuse à gazon?
Où est la tondeuse à gazon?


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