Frederik Mey
GASPARD
Paroles et musique: Frederik Mey, 1991


On disait qu'il venait d'Angers
Qu'il ne savait pas dire un mot
Sur la place du marché
Il fut entouré de badauds
Les uns chuchotaient: "Il n'est pas normal"
Et d'autres criaient: "c'est un animal!
Alors! qu'est-ce que vous attendez
Pour chasser cet idiot, pour chasser cet idiot"

Ses cheveux lui tombaient en mèches
Il se tenait recroquevillé
C'est le diable qui l'empêche
De marcher la tête levée
Le curé lui tendit un pot de lait
Qu'il lapa bruyamment et d'un seul trait
Faudrait qu'on l'abreuve à la crèche
C'est Satan incarné, c'est Satan incarné!

Mon père qui en ce temps là
Était maître d'école au village
Alla vers lui tendant son bras
Malgré les mots de l'entourage
Mon père lui parla doucement
L'étranger murmura en bégayant
Un nom qui sonnait par endroits
Comme le nom de Gaspard, comme le nom de Gaspard

Mon père le prit avec lui
Et Gaspard hésita un peu
Ma mère lava ses habits
Elle lui coupa les cheveux
Mon père alors lui apprit à parler
A lire à écrire et à calculer
Et mon père disait de lui:
Quel garçon prodigieux, quel garçon prodigieux!

Près de l'école il y avait
Un champ de quelques cinq hectares
Que la commune nous baillait
J'y travaillais avec Gaspard
Comme nos récoltes furent bonnes
Après les rudes journées en automne
Les paysans nous maudissaient
Quand on rentrait le soir, quand on rentrait le soir

Plus tard après Noël passé
Nos sorties devinrent plus rares
Et puis vint ce jour de janvier
Étouffé d'un épais brouillard
Gaspard ne rentra pas pour le repas
Muet je guettais le bruit de son pas
Mon père gronda excédé:
Mais que fait donc Gaspard, mais que fait donc Gaspard?

On l'a trouvé au petit matin
Dans la neige rouge de sang
Couché dans le petit chemin
Qui va de la maison aux champs
Ses yeux ne reflétaient pas la peur
Mais seulement une infinie stupeur
Ou comme l'immense chagrin
D'être haï autant, d'être haï autant

Un commissaire de passage
Enquêta fort hâtivement
L'abbé fit le discours d'usage
Qui nous consola bougrement
Le champ, depuis, est resté en jachère
Les gens, leurs chiens ne me font plus la guerre
Quand je vais jusqu'au village
Par le chemin des champs, par le chemin des champs.


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