Serge Lama
ON DEVIENT UN ÉMIGRANT


On devient un émigrant
Quand on quitte le pays,
Le village ou le lieu-dit,
La banlieue,
Que notre jardin d'enfant
Devient un jardin public
Surveillé par un vieux flic
Soupçonneux.

On devient un émigrant
Quand on arrive à Paris
Sans bagage
Et qu'on lui crie
"À nous deux".

On devient un émigrant
Quand on trouve dans le noir
Un remède au désespoir
Qui nous prend,
Une femme de trente ans:
Rita, Judith ou Malou
Qui s'achète ou qui se loue,
Qui se vend.

On devient un émigrant
Quand le corps épouse l'âme
Et qu'on rencontre la femme,
Le volcan
Et que l'on quitte en chantant
Une mère de banlieue
Qui pleure de tous ses yeux,
Mais qui comprend.

On devient un émigrant
Le matin quand on s'en va
Dans le sale métro tout froid
Que l'on hait
Et qu'on emprunte pourtant
Pour assurer la pitance
Et pour payer les vacances
De juillet.

On devient un émigrant
Quand la guerre nous déclare la guerre
Et qu'on a le désespoir fusillé
On devient un émigrant
Quand nos enfants nous renient,
Qu'ils nous chassent à petits cris
De leurs jeux
Nous montrant qu'il est grand temps
De nous mettre en hivernage
Et que l'on a passé l'âge
D'être heureux
Alors, comme un émigrant,
On redevient marginal
On arrive au point final,
Au tournant
Placé comme un émigrant
Dans un vieux rafiot bancal
Qui a de l'eau dans les voiles,
Qu'il est temps d'émigrer
Vers le soleil des émigrants,
D'émigrer vers le soleil des émigrants.


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