Juliette
MANÈGES

Paroles: Pierre Philippe


Les manèges tournent dans la brume
Au quai du Nord
On voit les lampes roses qui s'allument
Sur leurs vieux ors
Comme des toupies dans les ténèbres
Et les flonflons
S'échappent d'une valse funèbre
Qui tourne rond
Tout d'abord, on se dit que c'est un mauvais rêve
Qu'il est passé minuit et qu'ici chacun dort
Que les forains devraient bien faire la trêve
Mais les manèges tournent, tournent au quai du Nord
Alors on pense qu'ils tournent pour rien et dans le vide
Et qu'un farceur pour lui seul les a déclenchés
Mais on y voit bientôt des passagers livides
Aux animaux de plâtre se tenir accrochés
On voit leurs doigts soudés aux torsades de cuivre
Leurs corps qui descendent, remontent au ralenti
Et l'on dirait qu'ils font semblant de se poursuivre
Semblant se lancer des semblants de confetti

Les manèges tournent dans la bruine
Au quai du Nord
Astres lumineux dans les ruines
L'ombre du port
Où sont filles, pègres et poisses
Mauvais garçons?
Ce n'est plus pour eux que l'angoisse
Fait le dos rond
On croit voir un vol de griffons qui piaffent
Une femme bien trop belle, nue, à califourchon
Sur un dragon de cinématographe
Coursée par des soudards cravachant des cochons
On croit voir un forçat entraîné par un cygne
Un chien décapité et la tête du chien
Aboyant toute seule lorsqu'on lui fait un signe
Une main sanglante sortant d'un carrosse autrichien
On croit voir des traîneaux glissant sous de grands arbres
Un poète et un monstre ainsi rentrent chez eux
On voit des avions noirs, des papillons de marbre
Et des enfants qui crient dans des chariots en feu

Les manèges tournent dans l'orage
Au quai du Nord
Les manèges tournent avec rage
Et leur décor
S'effrite au rythme des cadences
D'accordéon
Que la vieille sono balance
Pour pas un rond
On distingue de vieilles femmes assises
Comme des Parques attendant l'arrêt du diorama
On croit voir dans les lueurs indécises
Des passants irradiés comme à Hiroshima
Des gens qui, comme moi, dorment à partir de l'aube
Et cherchent dans la nuit leur bel amour perdu
Qui donneraient, comme moi, tout pour chevaucher en fraude
Les brillants carrousels à eux seuls défendus
Car toi aussi tu tournes sur l'un de ces manèges
Oui, je t'ai reconnu tournoyant dans ta nuit
Oui, je t'ai reconnu sur ton cheval de neige
Les yeux fixes, les mains folles et le sourire détruit

Les manèges tournent dans ma mémoire
Au quai du Nord
Des soies, des velours et des moires
Ornent ta mort
Et passe et vire mon ivresse feinte
Oh, que sous mon front
A jamais mes amours défuntes
Tournent en rond


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