Jean-Jacques Goldman
TON AUTRE CHEMIN



D'aussi loin que je me souvienne,
Bribes d'enfance, bouts de scène,
Tes yeux, ton visage et ta main dans ma main,
Et nos pas sur le même chemin.

Oh nous n'étions pas très bavards,
Un peu bizarres, un peu à part,
J'aimais tes silences et tu aimais les miens,
Muets, nous nous entendions bien.

Tu étais un peu différent,
Et moi, je n'étais pas comme eux,
Un peu méprisants pour tous leurs jeux d'enfant,
Nous pleurions les yeux dans les yeux.

J'ai reçu tes premiers poèmes,
Comme on berce de quelques mots,
Nos rires étaient rires et nos peines étaient peines,
Chacun touchant l'autre en écho.

Je t'ai joué mes premières notes,
Tu écoutais les yeux mi-clos,
Simples et malhabiles, un peu fausses, un peu sottes,
Mais je n'entendais que tes bravos,
En saluant devant le piano.

On a commencé à se perdre de vue à l'adolescence,
Je te trouvais un peu trop austère,
Un peu trop sérieux, un peu trop secret.
Moi, j'avais besoin de musique, de lumière,
Et de futilité.
Et aussi des autres.
Ton amitié était exigeante, entière, exclusive,

Et puis, tu as commencé à être absent,
Souvent, puis plus longtemps.

Ta mère nous disait que tu partais en vacances,
Elle ne mentait pas quand j'y repense,
En vacance d'envie, en vacance de vie,
Et puis la vérité, celle qu'on suppose,
Celle qu'on cache, celle qu'on chuchotte,
Celle qui dérange, celle qu'on élude,
Ton autre chemin.

Dis-moi les voix, les envies qui te mènent
Dis-moi les vents, les courants qui t'entraînent
Les idées fixes et les clous qui te rivent.
En quelles errances, immobiles dérives,
Dis-moi les songes qui frappent à ta porte,
Les illusions, les diables qui t'emportent,
Vers quel ailleurs, mirage sans angoisse,
Sans temps perdu, sans seconde qui passe.
A quoi tu penses quand revient le soir?
Tes quatre murs renferment quels espoirs?

Que doit-on lire dans ton sourire idiot?
D'autres désirs, sans parole, sans mot?
Montre-moi ton autre chemin
Décris-moi ton autre chemin
Dis-moi tes signes et dis-moi ton langage.
Les horizons des barreaux de ta cage,
Vois-tu le blanc, le bleu ciel et le rose,
Que vois-tu quand tes paupières se closent.

Et puis, me voilà te parlant de ma vie,
De son niveau, ses ennuis, ses envies,
Sa course vaine et mon manque d'amis.
A tes yeux vides, ton absence ahurie.


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