Léo Ferré
FLB

1980


L'eau cette glace non posée
Cet immeuble cette mouvance
Cette procédure mouillée
Nous fait prisonnier sa cadence
Nous dit de rester dans le clan
A mâchonner les reverdures
Sous les neiges de ce printemps
A faire au froid bonne mesure

Cette matière nous parlant
Ce silence troué de formes
Et ces marins nous appelant
Nos pas que le sable déforme
Cette cruelle exhalaison
Qui monte des nuits de l'enfance
Quand on respire à reculons
Une goulée de souvenance

Vers le vertige des suspects
Sous la question qui les hasarde
Vers le monde des muselés
De la bouche et des mains cafardes
Nous prierons Dieu quand Dieu priera
Et nous coucherons sa compagne
Sur nos grabats d'où chantera
La chanterelle de nos pagnes

Mais Dieu ne fait pas le détail
Il ne prête qu'à ses Lumières
Au renouvellement du bail
Nous lui parlerons de son père
Du fils de l'homme et du destin
Quand nous descendrons sur la grève
Et que dans la mer de satin
Luiront les lèvres de nos rêves

Nous irons sonner la Raison
A la colle de prétentaine
Réveille-toi pour la saison
C'est la folie qui se ramène
A bientôt Raison à bientôt
Ici quelquefois tu nous manques
Si tu armais tous nos bateaux
Nous serions ta folie de planque

On danse ce soir sur le quai
Une rumba pas très cubaine
Ça n'est plus Messieurs les Anglais
Qui tirent leur coup capitaine
On a Jésus dans nos cirés
Son tabernacle sous nos châles
Pour quand s'en viendront se mouiller
Vos torpilleurs sous nos bengales

Et ces maisons gantées de vent
Avec leurs fichus de tempête
Quand la vague leur ressemblant
Met du champagne sur nos têtes
C'est toi leurs tuiles et nous et toi
Cette raison de nous survivre
Entends le bruit qui vient d'en bas
C'est la mer qui ferme son livre


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