Léo Ferré
LE FAUX POÈTE

1986


Sans latitude sans un sou le cul cloué
A cheval sur l'atlas où ma fille besogne
J'ai l'oeil morne du voyageur qui s'est gouré
Et qui rentre au bordel pour vider sa vergogne

Le slip barricadé et la pantoufle au vert
Des cover-girls vissées au mur qui se lamente
Une bible qui bâille un psaume de travers
Et ma feuille d'impôts qui me ronge la rente

Il pleure dans ma cour des chats de Tahiti
Des clitoris germains des lèvres sous-marines
Et ma sirène m'accompagne dans le lit
Au son du pot-au-feu qui meurt dans la cuisine

Dans ses yeux Niagara je noie l'alexandrin
Dans sa gaine je sens pourrir toute l'Afrique
Mon sexe géographe et la carte à la main
Je la viole à New York et m'endors en Attique

J'ai fait l'amour avec Saturne au Bal à Jo
L'accordéon crissait des javas hérétiques
Sur le mont-de-Vénus et ma croix sur le dos
Je suis mort cette nuit en fumant des Celtiques

Neuilly Honolulu mon sperme s'est caillé
Je shunte ma goualante aux îles Caroline
Et porte ce matin mes sens dépareillés
Au lave heure du coin où sèche Proserpine

Les fleurs de Nouméa se fanent à Paris
Les robinets suintants musiquent des tropiques
Je suis là et mon âme est coincée à demi
Entre un vieux pull-over et des couilles laïques

J'ai un railway dans l'âme et je tourne de l'oeil
Vomissant alentour mes reliefs migratoires
La voie lactée a fait pipi dans son fauteuil
Et je me suis cassé la gueule dans le square

Miserere de l'avenue aux pieds rivés
Des albatros venus d'on ne sait où jouissent
Des rimes de nylon au cul du vieil été
Qui se meurt dans le ciel en vieilles cicatrices

Il y'a des astres retraités chez Ripolin
Qui cherchent un emploi en dorure sur tranche
Et des étoiles d'or qui sont dans le pétrin
Ça pue l'éternité sur les façades blanches

Ah! l'avion qui là-haut métallise l'azur
Les coliques de Dieu dégueulent du pétrole
Je crois en toi Seigneur et j'ai mal au Futur
Aux quatre cent vingt et un j'ai paumé l'Acropole

Le soleil s'est couché ce soir avec ton gars
Le fils de l'homme avait du spleen dans sa musette
Un vieux compte à régler avec la lune en bas
Qui se soûlait la gueule avec un faux poète


À la page des textes de Léo Ferré
À la page des textes