Georges Chelon
NUCLÉAIRE



J'ai casé toutes mes femmes, elles sont mariées ou presque:
Un enfant, un boulot, une nouvelle adresse.
Quand je les entendais dire que j'étais tout ce qu'elles avaient,
J'ai redouté le pire quand elles m'ont quitté.
Pas le temps de fermer la porte, de pousser un soupir,
De réinvestir mon lit, de réapprendre à dormir,
Qu'y'avait déjà des mecs pour les prendre dans leurs bras
Et pour leur faire un gosse, elles qui n'en voulaient pas,
Rapport au nucléaire.

Celle qui voulait me traîner toutes les nuits dans les boîtes,
Bien avant "Joe le taxi" et la "Fille à la ouate",
Qui avait fait Woodstock comme d'autres ont fait Verdun,
Qui se shootait au rock et s'éclairait aux joints,
Qui se prenait pour une fleur en rêvant de Katmandou,
De Sri Aurobindo, son guide, son gourou,
Je l'ai croisée dans le XVIe déguisée par Van Cleef.
On s'était rencontrés, un jour, dans une manif
Contre le nucléaire.

Un jour on s'aime
Ma vie, ma reine,
Et puis on se perd,
Et c'est la guerre,
Comme pour le nucléaire.

Je vais la paix dans l'âme, les mains croisées dans le dos,
J'ai marié toutes mes femmes, j'ai bien fait mon boulot.
J'ai plus mauvaise conscience, plus de culpabilité:
Elles sont heureuses, je pense, j'ai plus à m'inquiéter.
Mais le lit d'à côté, c'est le même qu'en face,
Et ce qui nous fait peur, c'est tout ce temps qui passe.
On n'a plus la fraîcheur, c'est plus la même chanson,
On a tout intérêt à faire des concessions.
Comme pour le nucléaire.

Je vais fumer un pétard en écoutant un disque,
Je dois avoir, quelque part, un vieux titre d'Elvis,
Je vais relire Desjardins et puis me payer une boîte,
Et, dès demain matin, je brandirai ma pancarte:
"Sauvez le nucléaire"

Un jour on s'aime, ma vie, ma reine,
Et puis on se perd, et c'est la guerre,
Comme pour le nucléaire.


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