Georges Chelon
LES GRANDS ENSEMBLES



Il habitait dans une tour
De béton, de vitres et d'acier.
Pas le moyen d'y faire l'amour
Sans que tous en soient informés.
Pour planter un clou dans les murs,
Il fallait un marteau-piqueur.
Dehors en guise de peinture,
C'était du ciment de couleur.

Il avait calculé, un jour,
Qu'il perdait un mois dans l'année
Rien que pour faire l'aller-retour
Entre chez lui et son guichet.
Il rêvait de champs et d'espace,
Il rêvait de petits oiseaux,
De s'habiller en dégueulasse
Et de flâner au bord de l'eau.

A l'entrée A du bloc D6,
Dixième étage, escalier B,
Derrière la porte 306
De son F2, il contemplait
En guise de champs et d'espace
Les façades délavées
De ces ensembles dégueulasses,
Ces bidonvilles maquillés.

Ces fantômes des jours en gris,
Ces lève-tôt des trains bondés,
Ces êtres coincés par la vie,
Qui n'avaient rien à espérer,
Ces pas-plus-cons que beaucoup d'autres
Ces moins débrouillards seulement,
Ces gens qui bossaient pour les autres,
Payaient pour vivre là-dedans.

D'abord, l'argent, ça devrait être
Le privilège des humbles gens,
Des mal-venus, des trop-honnêtes,
Des anonymes, des mal-vivants,
Et non celui de ceux qui, par
Leur esprit, leur coeur ou leur corps,
Pourraient atteindre d'autres gloires,
Plus nobles et plus riches encore.

Il habitait dans une tour
De béton, de vitres et d'acier.
Pas le moyen d'y faire l'amour
Sans que tous en soient informés.
Ils habitaient dans des tours
De béton, de vitres et d'acier.
Pas le moyen d'y faire l'amour
Sans que tous en soient informés.


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