Francis Cabrel
LA FABRIQUE



Mon grand-père était un marin,
Il a dû mourir sur une île,
Mon père avait une ferme,
Et moi je suis sa seule fille.
Je me suis enfuie avec ce voyou
D'un village des alentours,
Aujourd'hui il s'étouffe dans son alcool,
Et me laisse seule
Avec nos trois gosses à nourrir

A la fabrique c'est pas facile,
C'est pas non plus très dur,
Mais ce sont ces heures qui défilent,
Et puis cette horloge sur le mur.

Un premier rêve qui passe
M'aide à tenir jusqu'à midi,
Où j'ai quelques minutes d'espace
Pour prendre un sandwich,
Boire un café, et m'asseoir.

Autrement c'est moi et la machine,
Jusqu'à ce que la sirène le décide,
Jusqu'au bout de l'après-midi,
Jusqu'au bout de ma vie.
Malgré moi mon coeur s'en retourne
Vers cette maison dans les terres,
Où j'ai passé tant d'années d'amour
A danser sur les bras de mon père.
Ces histoires de marins perdus,
Ces orages sur le lac Erie,

Ces navires à jamais disparus,
Avec leurs voiles grandes
Comme des morceaux de ciel.

Oui mais c'est ma vie qui a été gâchée,
Et c'est moi qui ai eu tort de laisser
Cette fabrique
Pour bien utiliser mon corps.
Moi je vais rentrer chez moi ce soir,
Je vais regarder mes mains,
Je vais me dire qu'au moins une fois
J'aurais aimé avoir la chance
D'aller plus loin.
Mais je vais travailler ici

Et oublier tout ce que je souhaite,
Peut-être ne jamais rencontrer
L'homme dont le nom
Est sur l'étiquette.

Ce sera moi et la machine
Jusqu'à ce que la sirène le décide
Jusqu'au bout de l'après-midi
Jusqu'au bout de ma vie.


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