Georges Brassens
LA RELIGIEUSE



Tous les coeurs se rallient à sa blanche cornette,
Si le chrétien succombe à son charme insidieux,
Le païen le plus sûr, l'athée le plus honnête
Se laisseraient aller parfois à croire en Dieu.
Et les enfants de choeur font tinter leur sonnette...

Il paraît que, dessous sa cornette fatale
Qu'elle arbore à la messe avec tant de rigueur,
Cette petite soeur cache, c'est un scandale!
Une queue de cheval et des accroche-coeurs.
Et les enfants de choeur s'agitent dans les stalles...

Il paraît que, dessous son gros habit de bure,
Elle porte coquettement des bas de soie,
Festons, frivolités, fanfreluches, guipures,
Enfin tout ce qu'il faut pour que le diable y soit.
Et les enfants de choeur ont des pensées impures...

Il paraît que le soir, en voici bien d'une autre!
A l'heure où ses consoeurs sont sagement couchées
Ou débitent pieusement des patenôtres,
Elle se déshabille devant sa psyché.
Et les enfants de choeur ont la fièvre, les pauvres...

Il paraît qu'à loisir elle se mire nue,
De face, de profil, et même, hélas! de dos,
Après avoir, sans gêne, accroché sa tenue
Aux branches de la croix comme au portemanteau.
Chez les enfants de choeur le malin s'insinue...

Il parait que, levant au ciel un oeil complice,
Elle dit: "Bravo, Seigneur, c'est du joli travail!"
Puis qu'elle ajoute avec encore plus de malice:
"La cambrure des reins, ça, c'est une trouvaille!"
Et les enfants de choeur souffrent un vrai supplice...

Il parait qu'à minuit, bonne mère, c'est pire:
On entend se mêler, dans d'étranges accords,
La voix énamourée des anges qui soupirent
Et celle de la soeur criant "Encore! Encore!"
Et les enfants de choeur, les malheureux, transpirent...

Et monsieur le curé, que ces bruits turlupinent,
Se dit avec raison que le brave Jésus
Avec sa tête, hélas. déjà chargée d'épines,
N'a certes pas besoin d'autre chose dessus.
Et les enfants de choeur, branlant du chef, opinent...

Tout ça, c'est des faux bruits, des ragots, des sornettes,
De basses calomnies par Satan répandues.
Pas plus d'accroche-coeurs sous la blanche cornette
Que de queue de cheval, mais un crâne tondu.
Et les enfants de choeur en font, une binette...

Pas de troubles penchants dans ce coeur rigoriste,
Sous cet austère habit pas de rubans suspects.
On ne verra jamais la corne au front du Christ,
Le veinard sur sa croix peut s'endormir en paix,
Et les enfants de choeur se masturber, tout tristes...


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