Georges Brassens
LA FILLE À CENT SOUS



Du temps que je vivais dans le troisième dessous,
Ivrogne, immonde, infâme,
Un plus soûlaud que moi, contre une pièce de cent sous,
M'avait vendu sa femme.

Quand je l'eus mise au lit, quand je voulus l'étrenner,
Quand je fis voler sa jupe,
Il m'apparut alors que j'avais été berné
Dans un marché de dupe.

"Remballe tes os, ma mie, et garde tes appas,
Tu es bien trop maigrelette,
Je suis un bon vivant, ça ne me concerne pas
D'étreindre des squelettes.

Retourne à ton mari, qu'il garde les cent sous,
Je n'en fais pas une affaire."
Mais elle me répondit, le regard en dessous:
"C'est vous que je préfère...

Je suis pas bien grosse, fit-elle, d'une voix qui se noue,
Mais ce n'est pas ma faute..."
Alors, moi, tout ému, je la pris sur mes genoux
Pour lui compter les côtes.

"Toi que j'ai payé cent sous, dis-moi quel est ton nom,
Ton petit nom de baptême?
- Je m'appelle Ninette. - Eh bien, pauvre Ninon,
Console-toi, je t'aime."

Et ce brave sac d'os dont je n'avais pas voulu,

Même pour une thune,
M'est entré dans le coeur et n'en sortirait plus
Pour toute une fortune.

Du temps que je vivais dans le troisième dessous,
Ivrogne, immonde, infâme,
Un plus soûlaud que moi, contre une pièce de cent sous,
M'avait vendu sa femme.


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