Georges Brassens
LE BISTROT



Dans un coin pourri
Du pauvre Paris,
Sur une place,
L'est un vieux bistrot
Tenu pas un gros
Dégueulasse.

Si t'as le bec fin,
S'il te faut du vin
De première classe,
Va boire à Passy,
Le nectar d'ici
Te dépasse.

Mais si t'as le gosier
Qu'une armure d'acier
Matelasse,
Goûte à ce velours,
Ce petit bleu lourd
De menaces.

Tu trouveras là
La fine fleur de la
Populace,
Tous les marmiteux,
Les calamiteux,
De la place.

Qui viennent en rang,
Comme les harengs,
Voir en face
La belle du bistrot,
La femme à ce gros
Dégueulasse.

Que je boive à fond
L'eau de toutes les fon-
tain's Wallace,
Si, dès aujourd'hui,
Tu n'es pas séduit
Par la grâce.

De cette jolie fée
Qui, d'un bouge, a fait
Un palace.
Avec ses appas,
Du haut jusqu'en bas,
Bien en place.

Ces trésors exquis,
Qui les embrasse, qui
Les enlace?
Vraiment, c'en est trop!
Tout ça pour ce gros
Dégueulasse!

C'est injuste et fou,
Mais que voulez-vous
Qu'on y fasse?
L'amour se fait vieux,
Il a plus les yeux
Bien en face.

Si tu fais ta cour,
Tâche que tes discours
Ne l'agacent.
Sois poli, mon gars,
Pas de geste ou ga-
re à la casse.

Car sa main qui claque,
Punit d'un flic-flac
Les audaces.
Certes, il n'est pas né
Qui mettra le nez
Dans sa tasse.

Pas né, le chanceux
Qui dégèlera ce
Bloc de glace.
Qui fera dans le dos
Les cornes à ce gros
Dégueulasse.

Dans un coin pourri
Du pauvre Paris,
Sur une place,
Une espèce de fée,
D'un vieux bouge, a fait
Un palace.


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