François Béranger
POUR MA GRAND-MÈRE


Ma grand-mère qu'était de clamecy,
Elle a clamsée dans son petit lit,
A l'hôpital de Montargis.
Elle est partie rejoindre son homme.
Celui qu'elle appelait son chéri,
Un matin de cet hiver pourri

Ma grand-mère qu'était de Clamecy,
C'était une qui chantait tout le temps.
Au temps de son jeune temps, à vingt ans.
Faut dire qu'elle était couturière,
Et que dans les ateliers de misère
On se serait cru dans une volière

Dans les quartiers des ateliers,
Des ateliers de couturières
Fallait voir comme la dernière
Était sapée comme une rentière
On sait pas comment qu'elles faisaient
Pour être mises comme des princesses...

Quand elles sortaient des ateliers
Après dix-onze heures de travail,
Les rues s'emplissaient de beauté,
Les chapeautières, les culottières,
Les grisettes et les trottins,
Les petites mains et les premières
Douze heures par jour, six jours de rang,
Les fesses talées, les reins brisés,
La poitrine creuse, les doigts piqués,
Les yeux rougis et ça chantait
Ça chantait des chansons joyeuses
D'avenir radieux, d'amour toujours

Les petites nanas de ce temps-là
Elles tenaient très haut, à bout de bras,
Une sorte de fierté orgueilleuse.
C'était mieux que de chercher l'oubli,
Après des journées pas fameuses,
Dans des verres d'absinthe ou d'anis
Pour ma grand-mère qu'était de clamecy
Qui vient de clamser dans son petit lit.
Pour elle qu'a chanté toute sa vie,
On guise d'au revoir et merci.
Cette chansonnette je dédie
Un jour de cet hiver pourri


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