François Béranger
DURE-MÉRE


Je vois une bouche qui s'ouvre,
Comme un trou noir,
Et qui n'a pas la force d'exhaler un cri.
Je crois voir un vieillard
Au visage ridé.
On me dit c'est un enfant, je n'en crois rien.

Bras et jambes squelettiques,
Ventre gonflé
Qu'y a-t-il vraiment dans cette outre affamée?
Des yeux immenses de pure souffrance
Accusation au-delà de tout pardon
Demain quatre milliards de crève-la-faim
Auront-ils seulement la force de rêver?
De rêver qu'ils mangent un riche bien gras.
Un riche bien gras, bien rose,
Jusqu'à en crever.

Lu casser le crâne, percer la dure-mère,
Boire jusqu'à la lie la bonne matière grise.
Intelligence d'où n'est pas sorti
Le désir, la simple idée de partager.

Terre! Terre! Terre! Ma terre!
Ma dure mère!
Qu'avons-nous fait de toi?
Qu'avons-nous fait de nous?
Qu'avons-nous fait?

Sur nos belles routes, les paysans
Arrosent de pétrole leurs excédents.
Par millions de tonnes la bouffe invendue
Dort à jamais dans nos entrepôts géants.

Terre! Terre! Terre! Ma terre!
Ma dure mère!
Qu'avons-nous fait de toi?
Qu'avons-nous fait de nous?
Qu'avons-nous fait?


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