François Béranger
ALLEMAGNE SOEUR BLAFARDE


Allemagne soeur blafarde
Tes yeux blancs révulsés ne connaissent plus les larmes
Et se tournent vides
Vers un ciel envahi de lueurs oranges
Tes narines convulsives
Exhalent les vapeurs sulfureuses d'un volcan
Ta gorge râlante
Fait un bruit de sanglots et tes fesses pointues
S'agitent sur un trône matelassé d'or puant
Ton cul est lui-même barbelé de diamants
Et chaque geste fébrile t'enfonce dans la chair
Leurs facettes coupantes.
Allemagne soeur blafarde
Ton sang est épuisé par un siècle d'histoire
Tes enfants viennent au monde
Bardés d'un masque à gaz ceinturés d'électrodes
Celui qui les arrache
Doit fuir pour oublier Ou bien demeurer là
Et se nourrir de meurtres
Plastiquer kidnapper et mourir suicidé
Dans tes prisons spéciales à déshumaniser
Aiguise bien les armes de ta super police
Améliore tes gadgets car certains précurseurs
Ont enterré la graine des lendemains qui saignent.

Allemagne soeur blafarde
Ton corps fendu en deux laisse voir tes entrailles
A faire des schizophrènes
Es cousins d'Amérique
Se vautrent dans ton lit un oeil pointé vers l'Est
Fume le cigare frangine
Bois ton schnaps cul-sec aux nouvelles colonies!
Trinque avec le grec le français l'espagnol
Avec délectation tes doigts vont et viennent
Du nez du Pouvoir au cul du Capital
Trinque frangine c'est tes enfants qui boivent.

Allemagne soeur blafarde
Ton fils se vend Banhof Zoo ta fille se shoote
Tes enfants veulent vivre
Comment faire pour vivre en coupant ses racines
Est-ce qu'on peut oublier?
L'oubli n'existe pas Est-ce qu'on peut comprendre?
Savoir ne suffit pas
Pour vivre il leur faut reconnaître leur mère
Re grandir dans son ventre Resurgir du chaos
Tes yeux blancs révulsés ne connaissent plus les larmes
Ton ventre a mis au monde ta propre exécution
Allemagne soeur blafarde! Allemagne soeur blafarde!

Soeur si lointaine et si proche, je vois dans ta nuit de cauchemar
Une foule immobile et sereine comme une armée de lumière.

Le soleil effaçant la nuit
Eclaire les jardins de Weimar
Goethe est assis sous son arbre
Sa voix retentit sur le monde
Jean-Sébastien au coeur d'enfant
Pleure en écrivant la Passion
Ses larmes tachant ses partitions
Nietzsche chevauche la montagne
La belle Salomé en croupe
Karl Marx lui barrant la route
Lui montre le sens de l'histoire
Bertolt Brecht au pied d'une passerelle
Son billet d'exil à la main
Il monte des quartiers populaires
Un choeur de chansons de Kurt Weill.

Louis-Deux surgit à la surface
D'un lac noir de Bavière
Plus loin on retire d'un canal
Le corps de Rosa Luxembourg
Kleist revolver en main
Et Rilke l'âme enchantée
S'envolent sur leurs poèmes
Beckman agitant ses pinceaux
Peint la scène sous un ciel terrible
Schumann caresse la Hagen
Ludwig plane chez Amon Duul
La voûte céleste est en folie
L'état de grâce sur vos têtes
Le couchant et le levant brûlent

L'espoir dénoue son poing


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