Barbara
LES INSOMNIES

1978


A voir tant de gens qui dorment et s'endorment à la nuit,
Je finirai, c'est fatal, par pouvoir m'endormir aussi,
A voir tant d'yeux qui se ferment, couchés dans leur lit,
Je finirai par comprendre qu'il faut que je m'endorme aussi,

J'en ai connu de grands, des beaux, des bien bâtis, des gentils,
Qui venaient pour me bercer et combattre mes insomnies,
Mais au matin, je les retrouvais, endormis dans mon lit,
Pendant que je veillais seule, en combattant mes insomnies,

A force de compter les moutons qui sautent dans mon lit,
J'ai un immense troupeau qui se promène dans mes nuits,
Qu'ils aillent brouter ailleurs, par exemple, dans vos prairies,
Labourage et patûrage ne sont pas mes travaux de nuit,

Sans compter les absents qui me reviennent dans mes nuits,
J'ai quelquefois des vivants qui me donnent des insomnies,
Et je gravis mon calvaire, sur les escaliers de la nuit,
J'ai déjà connu l'enfer, connaîtrais-je le paradis?

Le paradis, ce serait, pour moi, de m'endormir la nuit,
Mais je rêve que je rêve qu'on a tué mes insomnies,
Et que pâles, en robe blanche, on les a couchées dans un lit,
A tant rêver que j'en rêve, et revoilà mes insomnies,

Je rode comme les chats, je glisse comme les souris,
Et Dieu, lui-même, ne sait pas ce que je peux faire de mes nuits,

Mourir ou s'endormir, ce n'est pas du tout la même chose,
Pourtant c'est pareillement se coucher les paupières closes
Une longue nuit, où je les avais tous deux confondus,
Peu s'en fallut, au matin, que je ne me reveille plus,

Mais au ciel de mon lit, y avait les pompiers de Paris,
Au pied de mon lit, les adjudants de la gendarmerie,
O Messieurs dites-moi, ce que vous faites là, je vous prie,
Madame, nous sommes là pour veiller sur vos insomnies,

En un cortège chagrin, qui viennent mes parents, mes amis,
Gravement, au nom du Père du Fils et puis du Saint-Esprit,
Si après l'heure, c'est plus l'heure, avant, ce ne l'est pas non plus,
Ce n'est pas l'heure en tout cas, mais grand merci d'être venus,

Je les vois déjà rire de leurs fines plaisanteries,
Ceux qui prétendent connaître un remède à mes insomnies
Un médecin pour mes nuits, j'y avais pensé moi aussi,
C'est contre lui que je couche mes plus belles insomnies,

A voir tant de gens qui dorment et s'endorment à la nuit,
J'aurais fini, c'est fatal, par pouvoir m'endormir aussi,
Mais, si s'endormir c'est mourir, ah laissez-moi mes insomnies,
J'aime mieux vivre en enfer que dormir en paradis,

Si s'endormir c'est mourir, ah laissez-moi mes insomnies,
J'aime mieux vivre en enfer que mourir en paradis...


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