Jacques Higelin
LE NAÏF HAÏTIEN



Je voudrais me tailler d'un coup de pinceau de l'autre côté de l'Atlantique,
Loin des métros, m'aérer le pif et les hublots dans le tableau du grand naïf
Que Sylvie, la jolie patronne d'un petit resto des Buttes Chaumont
A suspendu juste au dessus du piano droit qu'on caresse plus que du bout des yeux,
Vu qu'il a supporté des tonnes de doigts et qui sonne plus faux que le tocsin
De la caserne des sapeurs-pompiers de Saint-Ripolin.

Je voudrais me poser sur sa palette, touiller ses tâches, piquer une tête
Dans ses pots de gouache, plonger mon coeur dans ses tons vifs du primitif enjoliveur,
Planter ma femme sur son Eden, offrir des vacances à mes peines,
Étendre mes ailes, les yeux au ciel et les pieds nus comme Adam et Eve au début
Dans ce joli coin de paradis perdu d'où vient tout l'Amour ingénu
Qu'on ne peut voir que dans le regard du naïf Haïtien

Qui va me tirer les oreilles avant que le soleil se soit fait manger
Par l'horizon et que le démon de la liberté m'ait capté dans son champ de vision,
Comme un gros caméléon captif et qu'à la fin de sa journée, le grand naïf,
Prenant son tableau sous le bras, emmène au coeur de sa maison,
Loin des hauteurs des Buttes Chaumont de Paris,
L'ami qui vient de se faire la belle sur les ailes de la création du naïf Haïtien.


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