Jean Guidoni
LES DRAPS BLANCS LES DRAPS BLANCS

Paroles: Pierre Philippe, musique: Astor Piazzola


Je n'avais jamais eu de chambre à moi
Ni seulement
L'un de ces lits où - dit-on - l'on se noie dans
Des draps blancs
Je n'avais jamais eu que des divans
Des lits étroits
Que des couches où l'on dort comme en plein vent
Et où l'on a froid
Enfant, j'ai toujours appris mes leçons
Fait mes devoirs
Dans la salle à manger où, grand garçon
Soir après soir
J'ai fait mon lit dans un angle du mur
Où j'ai rêvé
A toutes les couleurs de l'aventure
Comme à la tévé
Puis j'ai retenu mon souffle en rentrant
Après minuit
Pour ne pas alerter mes chers parents
De mes ennuis
Ils devaient pour travailler se lever
Avant le jour
Et auraient bien sûr jugé dépravées
Mes pauvres amours
J'errais alors dans les tristes banlieues
Où l'on attend
Rien
Et où l'on marche des lieues et des lieues
En espérant
Qu'un
Geste ou qu'un regard bouleversera
La petite
Vie
Que les parents ont mené là
Sans en avoir vraiment envie

C'est dans des draps blancs que tout commence
Et que tout finit
Beaux draps repassés de l'existence
Aux plis bien jaunis
Jamais vraiment tirés de l'armoire
Des nuits sans envie
Draps secs, draps vierges et draps-mémoire
De bien trop mornes vies
Malheur à toi, toi qui voulais mieux
Que vivre à demi
Faire de tous tes jours des fêtes-dieu
Aux riches semis
Sur tes draps aux couleurs de lilas
De fleurs pourpres en lourds entrelacs
Brassées de pavots au coeur grenat
D'oeillets noirs et de trèfles incarnats
Bouquets de sauge et de datura
Roses roses et roses baccarat
Liées dans leur parfum scélérat
Purulent opéra

J'ai trop connu de ces draps élimés
Avant leur temps
Tristes draps d'hôtel où sont imprimées
Des fleurs des champs
Simples comme celles des cloisons
Comme bonjour
Qui ont fait dépérir de leur poison
Tant et tant d'amours
C'est dans ces fleurs décolorées que j'ai
Pu modérer
Mes belles ardeurs et mes grands projets
Que j'ai serré
Quelques corps, quelques coeurs qui mont appris
A me guérir
De ces erreurs meublant mon bel esprit
Jusqu'à en mourir
Mais c'est là qu'un jour entre ces deux draps
De nylon sec
Toi que je n'attendrais plus tu viendras
Et tout avec
Avec ces riens qui font un roi du pire
Nécessiteux
Et l'amour instaurera son empire
Dans mes draps douteux
Riant, nous irons tous les deux choisir
La première
Paire
De draps blancs qui seront nos désirs
Voiles sur la Mer
Voiture de navire, voilage de noces
Et parfumés
Tels que la toile de fil d'Ecosse
De la sainte nappe de l'autel

C'est dans des draps blancs que tout commence
Et que tout finit
Je n'aurais pas su saisir ma chance
Saisir l'ironie
De ce sort qui commande ce soir
Comme une anarchie
Des draps blancs maculés de noir
En un sanglant gâchis
Malheur à toi qui voulais mieux
Que vivre à demi
Faire de tous tes jours des fêtes-dieu
Aux riches semis
Sur tes draps aux couleurs de lilas
De fleurs pourpres en lourds entrelacs
Brassées de pavot au coeur grenat
D'oeillets noirs et de trèfle incarnats
Bouquet de sauge et de datura
Roses roses et roses baccarat
Liées dans leur parfum scélérat
Purulent opéra


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