Léo Ferré
LES SOUVENIRS


Les souvenirs de ceux qui n'ont plus de maison
Se traînent dans les bars ou sur les autoroutes
A cent soixante à l'heure ils se traînent et s'en vont
A cent soixante à l'heure tu choisis pas ta route
Tu choisis pas ta route

Cette machine à écrire qui tape un manuscrit
Ce manteau qui sourit et qui te tend les bras
Cette valise où mon âme est pliée sans un pli
Cette bougie qui meurt et qui n'en finit pas
Ce papier que noircit une lettre d'amour
Ce crayon malheureux et qui a mauvaise mine
Ce miroir qui me parle et la nuit et le jour
Jusqu'à l'ultime jour jusqu'à l'ultime nuit

Les souvenirs de ceux qui n'ont plus de maison
Se traînent dans les bars ou sur le fond d'un lit
A cent soixante à l'heure ils se traînent et s'en vont
S'en vont à cent soixante à la mélancolie
A la mélancolie

Ce parfum qu'on oublie dans le bruit des odeurs
Cette larme qui coule et qui sèche à ton bras
Ce bijou qui s'ennuie au cou de ton malheur
Cette gorge qui s'ouvre et qui n'en finit pas
Ce matin qui s'ébat dans l'horreur de la vie
Cette ombre de la brume où se perd la mémoire
Cette conscience au bout de ce qui t'est permis
Ce désespoir enfin qui s'invente une histoire

Ils s'en vont ils s'en vont les souvenirs cassés
Ils s'en vont ils s'en vont les souvenirs... Allez
Comme des chiens perdus qu'on ne reconnaît plus
Si ce n'est à leur queue un tremblement de larmes
Un tremblement de larmes

Ils pleurent tous ces chiens qui s'en vont l'arme basse
Dans le fond de la brume on les voit divaguer
Quelquefois ils s'en prennent à leur ombre et demain
Des soleils amoureux leur lécheront la face
Et la mélancolie


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