Francis Cabrel
PAS TROP DE PEINE



Moi quand j'avais quatorze ans,
Les accords de Dylan
Peuplaient mes insomnies
Et je m'endormais le matin,
Ma guitare à la main,
Sans débrancher l'ampli.

Toi tes parents
Te gardaient des ronds
Pour que tu aies ta maison
Avec un jardin
Sur le devant
Pour les soirs de printemps.

Et quand tu arrivais au lycée,
Tu avais tout étudié,
On était fier de toi.
Moi je disais: "Je regrette,
J'ai des notes plein la tête.
Je ne vous entends pas.

Elle s'envolent par milliers
Tous les soirs
Du fond de ma guitare."
Ils m'ont dit
Qu'ils n'étaient pas d'accord.
Ils m'ont foutu dehors.

Ça m'a pas fait trop de peine,
Mais j'ai dit:
"Vos livres sont moisis
Vos principes me gênent
Et vos chaînes m'ennuient.
Surtout gardez vos rengaines
Pour ceux qui sont déjà endormis.
Moi je suis pour qu'on sème
Des graines de folie."

Et j'ai fait pas mal de détours.
J'ai vécu à la cour
Des mendiants et des rois
Pendant que toi tu comptais
Tes primes de fin d'année,
Tes cravates de soie.

Mais l'autre jour,
Je t'ai retrouvé
Derrière ton guichet
Et j'ai compris,
A travers tes lunettes,
Que c'est toi qui regrettes.

Ça m'a pas fait trop de peine
Mais j'ai dit:
"Tes livres étaient moisis.
Ton costume te gêne
Et tes chaînes t'ennuient.
Tu as écouté la rengaine.
Ça fait trente ans que tu es endormi.
T'as tes quatre semaines,
Moi j'ai toute ma vie...

Toute ma vie...
Moi j'ai toute ma vie."


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