Michel Buhler
RUE DE LA ROQUETTE



Elle habitait rue de la Roquette,
Tout en haut d'un vieil escalier.
Chez elle, y avait pas de moquette
Sur le palier,
Pas de homard en céramique
Sur un buffet Louis machin,
Rien qu'un grand lit plein de musique
Et c'était bien.
Son compagnon, un photographe,
S'était tiré quelques mois plus tôt
Et l'avait laissée en carafe
Comme un salaud.
Depuis, elle attendait sans hâte
Que reviennent des jours meilleurs
Entre des fleurs et une chatte
Folle d'ailleurs.

C'est elle qui m'avait accueilli
Lorsque je traînais dans Paris.

La journée, elle était graphiste.
Le soir, elle fumait un peu,
Simplement pour être moins triste,
Pour être mieux.
Elle gardait d'un lointain dimanche,
Plus que les autres gris et laid,
De fines cicatrices blanches
A ses poignets.
Elle avait des amis bizarres,
Des Québécois trapus, barbus,
Des ivrognes que, par hasard,
J'avais connu
Et c'est dans la rue des Cannettes,
Un soir de bière et de chansons,
Un soir où je faisais la fête
Que sans façons

Elle m'avait dit: "Viens dans mon lit
Au lieu de traîner dans Paris."

Elle avait des caresses lentes
Comme quand on a tout son temps.
Elle avait des gestes d'amante,
Oui, et pourtant,
Y'avait pas d'amour entre nous,
De serments ou de cinémas.
Je m'en méfiais plutôt, voyez-vous,
En ce temps-là.
Avant que la chanson se termine,
Il faut encore que vous sachiez
Qu'elle avait la bouche enfantine,
De petits pieds.
Ces choses-là avaient de l'importance
Pour moi comme ses cheveux roux,
Puis elle est partie en vacances,
Je ne sais où.

Je ne l'ai pas revue depuis,
Alors moi, j'ai repris ma vie.

Celui qu'a fait cette complainte
Se souvient encore à présent
De son cou, de ses lèvres peintes,
De ses seins blancs.
Il envoie un peu de tendresse
A celle qui l'avait accueilli
Alors qu'il traînait sa tristesse
Dedans Paris.

Un peu de tendresse comme ça
En souvenir de ce temps-là,
Un peu de tendresse et c'est tout,
Simplement parce que c'était doux.


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