Bourvil
LES CRAYONS

1946


Elle n'avait pas de parents,
Puisque elle était orpheline.
Comme elle n'avait pas d'argent,
Ce n'était pas une richissime.
Elle eut cependant des parents,
Mais ils ne l'avaient pas reconnue,
Si bien que la pauvre enfant,
On la surnomma l'inconnue.

Elle vendait des carte postales,
Puis aussi des crayons,
Car sa destinée fatale,
C'était de vendre des crayons.
Elle disait aux gens de la rue:
"Voulez-vous des crayons?",
Mais reconnaissant l'inconnue,
Ils disaient toujours non.
C'est ça qu'est triste.

C'est triste quand même de ne pas reconnaître son enfant,
Il faut pas être physionomiste!
Il me semble que si j'avais un enfant, moi je le reconnaîtrais!
A condition qu'il me ressemble, naturellement!

C'était rue de Ménilmontant,
Qu'elle étalait son petit panier.
Pour attirer les clients,
Elle remuait un peu son panier,
Mais un jour, un vagabond
Qui passait auprès de son panier
Lui a pris tous ses crayons,
Alors, elle s'est mise a crier:

"Voulez-vous des cartes postales?
Je n'ai plus de crayons.",
Mais les gens, chose banale,
Ne voulaient plus que des crayons.
Quand elle criait dans la rue,
"Voulez-vous des crayons?",
Ils disaient à l'inconnue:
"Tes crayons sont pas bons",
C'est ça qu'est triste.

C'est triste quand même, elle avait plus de crayons.
Forcément, elle se baladait avec son panier à découvert, n'est-ce pas?
Alors le vagabond, lui, il passait à côté de son panier, n'est-ce pas?
Alors avec sa main, alors... heu... hop!
Il lui a pris tous ses crayons, comme ça elle n'en avait plus.
C'est vrai qu'elle n'en avait pas besoin puisqu'elle n'en vendait jamais!
Mais quand même!

Un marchand de crayons en gros
Lui dit: "Viens chez moi mon enfant,
Je t'en ferai voir des beaux,
Je ne te demanderai pas d'argent."
Ce fut un drôle de marché,
Car c'était un drôle de marchand,
Et elle l'a senti passer,
Car elle en a eu un enfant.

C'est triste ça quand même d'abuser d'une inconnue comme ça!
C'est vrai qu'elle a été faible aussi!
C'est pas parce qu'il disait qu'il avait un... qu'il était...
Enfin, elle avait un enfant quoi, elle avait bonne mine!
Si seulement elle avait eu une mine de crayon!
Mais non, mais c'est ça qui la minait!
Alors elle l'a abandonnée, son enfant,
Et qu'est-ce qu'elle a fait plus tard cette enfant, hein?

Elle vendait des cartes postales,
Puis aussi des crayons,
Car sa destinée fatale,
C'était de vendre des crayons.
Elle disait aux gens de la rue,
"Voulez-vous des crayons?",
Mais reconnaissant l'inconnue,
Ils disaient toujours non.
C'est ça qu'est triste.


À la page des textes de Bourvil
À la page des textes