François Béranger
DÉPARTEMENT 28


Voilà ce que m'a raconté Pierre-Albert Espénel
Quarante-trois ans aux fraises et pas toutes ses dents
Un beau soir de l'automne assis sur un banc
Devant sa maison de pierre dans un village désert

Les brebis font des agneaux, les chèvres des chevreaux
Moi je voudrais bien aussi faire mon propre troupeau
Me voilà de retour maintenant. de retour après quinze ans.
Mes deux valises en carton remplies de solitude

Pour celle que j'attends un jour j'ai travaillé des jours
A reconstruire une maison avec tout ce qui faut dedans
Un chauffage, de l'eau chaude, un frigo, une radio
J'y vais une fois de temps en temps je m'assied et j'attends

En même temps que je rebâtissais j'ai écrit aux journaux
Au Chasseur pour être précis avec ma photo
Un jour une m'a répondu que ça l'intéressait
Elle est venue de sa Bretagne jusque dans nos montagnes

C'est Frédéric l'épicier qui l'a montée de la vallée
Dans sa camionnette rouillée le jour de sa tournée
Quand j'ai été la chercher on s'est bien regardé
On n'a pas su quoi se dire. Elle aurait pas dû venir

Je lui ai montré la maison les parents l'horizon
Et puis on a essayé un peu de se causer
Je me souviens qu'elle m'a dit qu'on était bien gentils
Mais qu'elle savait pas pourquoi elle ne resterait pas

Pour celle que j'attends un jour j'ai récrit aux journaux
En y joignant ma photo et tout ce qu'il leur faut
Un jour une me répondra et ça l'intéressera
Un jour une me répondra et même elle restera

Voilà ce que m'a raconté Pierre-Albert Espénel
Quarante-trois ans aux fraises et pas toutes ses dents
Un beau soir de l'automne assis sur un banc
Devant sa maison de pierre dans un village désert


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